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Notre corps se souvient, lui aussi

«Only human beings have come to a point where they no longer know they exist.

They have forgotten the secret knowledge of their bodies, their senses, their dreams.»

-– Lame Deer & Erdoes


« Je ressens donc je suis »

– Spinoza


Mindfulness - la pleine conscience, ...

Méditer est une pratique millénaire et spirituelle, sans être religieuse ou doctrinaire, qui invite à explorer notre vie intérieure, au delà du mental, en se reliant à notre corps, à notre respiration, à nos émotions et notre sensibilité humaine.


Elle trouve ses racines dans les traditions contemplatives orientales. En sanskrit, la pleine conscience (Mindfulness en anglais), vient du mot « smrti » : « se souvenir », ou « ce dont on se souvient » (that which is remembered).


Ce terme était d’abord attribué aux enseignements sacrés et védiques, transmis à l'oral grâce à un travail de mémorisation.


Le Buddha l’a repris pour définir l’intention de la pleine conscience : se souvenir, moment après moment, de notre présence naturelle, intrinsèque à notre existence.


Plus récemment, « smrti » a été découvert par l'Occident.


Docteur en biologie moléculaire et pratiquant de méditation et de yoga, Jon Kabat-Zinn introduit la pleine conscience pour la première fois en fin d'années 70s au sein de la Faculté de Médecine du Massachussetts (USA). Adapté de la tradition bouddhiste, il propose une pratique laïque à visée thérapeutique pour soulager les symptômes liés au stress, à la maladie et aux douleurs chroniques. Son programme de réduction de stress par la pleine conscience – en anglais le Mindfulness-Based Stress Reduction (MBSR) –, devient un succès mondial et suscite l'intérêt de nombreux chercheurs et cliniciens non seulement au sein des hôpitaux, mais aussi dans des écoles, au travail, dans des prisons, l'armée etc.


« La pleine conscience consiste à porter intentionnellement son attention

aux expériences internes (sensations, émotions, pensées, états d’esprit) et externes,

du moment présent, sans jugement de valeur. »

– Jon Kabat-Zinn


Cette qualité de présence est identifiée par les neurosciences comme une forme de « méta-cognition », et qui, chez les personnes ayant une pratique régulière de méditation, favorise les pouvoirs transformateurs du cerveau lui-même : la neuro-plasticité.


En santé mentale, la pleine conscience marque l’émergence de « la troisième vague » des psychothérapies d'orientation cognitive et comportementale (e.g., MBCT, ACT, DBT*), caractérisé par un apprentissage attentionnel visant à changer notre relation avec notre mental afin de changer notre état d’être :



Les avancées issues de ces domaines ouvrent des perspectives cliniques prometteuses dans le domaine de la santé en général et de la santé psychologique en particulier, tout en participant à l'essor de la médecine intégrative depuis les années 1990.


Cependant, les sciences modernes semblent encore valoriser la pleine conscience comme seule et unique faculté de l'esprit, tout en le séparant du corps, suivant le fameux héritage cartésien.


Or, il n’existe aucune racine sémantique rattachant « smrti » à la notion de l'esprit comme on peut le retrouver dans ses traductions en anglais: Mindfulness ou en français: la pleine conscience.


Body and mind are not separate in buddha dharma,

This being so, they are also called body-mind.

- Dogen


Somatic Mindfulness - notre corps, lui aussi ...

Et oui, nous savons que notre corps lui aussi est parfaitement capable de percevoir, de se souvenir, et de se transformer (i.e., bio-plasticité). Notre corps lui aussi enregistre notre vécu personnel, notre héritage familial et en garde une mémoire vivante à travers nos émotions, tendances, posture, et mouvements.


Nous savons que notre corps lui aussi est capable de discernement, responsable de nos ressources de vitalité, de guérison et de survie, et influence notre état d'esprit en permanence.


Les études issues de la psycho-physiologie (travaux sur le nerf vague) confirment que même plus de 80% des informations dans la communication corps-esprit proviennent de notre corps par rapport à seulement 20% du cerveau.


Lama bouddhiste Willa définit cette dimension somatique de « smrti » spécifiquement comme «Somatic Mindfulness » : se souvenir de la présence, de la sagesse intérieure que renferme notre propre corps.


Cette approche dite yogique de la pleine conscience s’inspire d’une seule observation : l’esprit est distrait, le corps ne l’est pas. Notre corps ne pense pas, ne rumine pas, il vit déjà et seulement dans le moment présent.


Au lieu donc de (re)diriger ou de stabiliser son attention dans le moment présent afin d'accéder à un état de méta-conscience (approche cognitive), l’invitation est de relâcher tout contrôle, de descendre de la tête au cœur, pour se laisser guider par la présence naturelle qui habite notre corps (approche yogique).


Autrement dit, les courants cognitifs de la pleine conscience considèrent nos expériences vécues comme « objets » de l'entraînement attentionnel (processus de dés-identification et de détachement, « anatta »), alors que l'approche yogique considère le corps comme « source » de présence, dotée d’une sensibilité intérieure, intuitive et authentique (processus de reconnexion, de ré-intégration, «naljor »).



Ici en France, Fabrice Midal, philosophe, écrivain et fondateur de l'Ecole Occidentale de Méditation, refuse également cette idée d'instrumentalisation du corps dans la méditation. Il propose alors le terme « pleine présence » qu'il décrit comme une expérience incarnée d'écoute de soi et du monde. Méditer c'est « (re)descendre d'un étage » pour habiter pleinement son corps, notre porte d'entrée vers l'existence, et (re)trouver un sens de confiance plus profond dans la vie :


« Contrairement à ce que l'on nous raconte souvent, Il ne faut pas lâcher-prise,

il faut laisser les choses nous lâcher, en entrant en rapport avec notre corps ».


La distinction faite ici entre les approches cognitives versus yogiques de la pleine conscience est subtile et à vrai dire, assez diffuse. Et pourtant, elle viennent - du moins ici en Occident - informer, orienter et accompagner les processus de soins différemment. Je vous en parlerai davantage dans un prochain article, en lien avec les dernières découvertes issues des domaines de l'attachement, du trauma psychologique, des neurosciences et du nerf vague.


Si la forme des pratiques contemplatives évolue et change en fonction de nos besoins et mouvements actuels, l'intention ou « smrti » reste invariable, et continue à nous inviter, moment après moment, de se rappeler de ce "déjà-là" ...


Nothing is missing,

Forget yourself, and remember everything,

Find that which was never lost.

- Judith Lasater



© Maria Karimov-Zwienenberg


*

MBCT : Mindfulness-Based Cognitive Therapy (Segal, Williams, & Teasdale, 2001);

DBT : Dialectal Behavioral Therapy (Linehan, 1993);

ACT : Acceptance and Commitment Therapy (Hayes, 1986).

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